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11 - Législation
et rythmes biologiques

Dr Jean-Michel Crabbé
Mis à jour mars 2015

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Le travail de nuit est contre nature, la stabilité du rythme de vie est un besoin physiologique fondamental des êtres vivants.

 

 

 

Résumé

Comme la médecine, la législation est loin d'avoir suivi les progrès de la recherche sur les rythmes biologiques. Les êtres humains sont encore très mal protégés contre les méfaits du travail de nuit, des décalages horaires et du rythme de vie accéléré des sociétés modernes. Ce retard est encore plus sensible pour les jeunes, souvent exposés à des rythmes scolaires inadaptés.

 

Le travail de nuit

Le Code du Travail définit le travail de nuit comme effectué entre 22 h et 5 h, et il comporte très peu de dispositions spécifiques.

La loi du 6 décembre 1976 relative à la prévention des accidents de travail dispose que "des règlements d'administration publique... organisent, par branche d'activité, en fonction des risques constatés, une limitation progressive des modes de travail en équipes successives, des cadences et des rythmes de travail lorsqu'ils sont de nature à affecter l'hygiène et la sécurité des travailleurs".

Cette législation de 1976 prévoyait une limitation rigoureuse du travail de nuit aux activités industrielles comme la sidérurgie, et aux services d'urgences. Vingt ans plus tard, le travail de nuit a pris une extension considérable dans de nombreuses activités industrielles et commerciales :

  • Le travail de nuit était encore exceptionnel au début du XXe siècle...
  • Il passe de 300 à 656 000 entre 1978 et 1991, et 1,8 millions de personnes sont employées occasionnellement de nuit (Quid 1998).

L'arrêt Stoekel du 25 juillet 1991 : En France, le travail de nuit restait interdit aux femmes dans l'industrie (art L. 213-1 du Code du Travail). La Cour Européenne de Justice a condamné ces dispositions de la législation française en vertu du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation, et les conditions de travail. (G. Couturier - Droit du travail)

Conséquences de cette évolution, les entreprises ont de plus en plus recours au travail de nuit et aux horaires variables, et le retentissement organique et psychique de ces rythmes est négligé. En droit du travail :

  • La distinction entre travail de jour ou de nuit, horaires réguliers ou irréguliers est insuffisante : pour la majorité des êtres humains, se lever à 3 ou 4 h du matin pour travailler à 5 h, c'est encore du travail de nuit.
  • Le rôle des horaires de travail dans la survenue de maladies organiques et psychiques n'est pas reconnu.
  • La destruction de la vie de nombreuses familles n'est pas prise en compte.

Le travail de nuit, la privation de sommeil et les horaires variables laissent les travailleurs épuisés, anxieux et déprimés, privés de vie de famille. Ils exposent aux accidents professionnels graves, aux insomnies irréversibles avec surconsommation de somnifères, aux maladies et aux accidents. Les conséquences d'une telle situation sur la santé publique sont à la charge de la collectivité, et les médecins sont injustement tenus pour responsables de la surconsommation médicale.

 

Le travail des jeunes en France

L'exemple des étudiants et internes en médecine :

(situation en 2005) Privés de soutien syndical, de convention collective et de droit de grève, les jeunes internes sont livrés au bon vouloir des directeurs des hopitaux et des chefs de services. Les hopitaux disposent d'une main d'oeuvre très bon marché, sans aucun controle de la médecine et de l'inspection du travail, dont les actes médicaux sont facturés au tarif du chef de service.

Dans certains services, Les internes travaillent 6 jours sur 7, avec 1 ou 2 gardes de 24 h par semaine. L'interne qui travaille de nuit doit souvent être présent le matin même dans son service à 08 h, sans repos compensateur et sans récupération. Une période de travail continu jour et nuit peut durer de 08 h au lendemain soir 19 h, soit 35 h, et parfois davantage avec quelques heures de sommeil. Le travail hebdomadaire moyen atteint parfois 60 à 80 h. À ce travail s'ajoute la préparation d'examens et de thèses, et la disparition inévitable de toute véritable vie de famille.

La situation des jeunes internes se retrouve, dans une moindre mesure, pour les élèves infirmières, les apprentis et d'autres catégories sociales. Dans notre société soi-disant égalitaire, l'ancienne génération exploite, en toute impunité, le travail des jeunes. Quel est le destin d'une société qui maltraite ainsi ses propres enfants ?

 

Les rythmes scolaires

Le système scolaire français néglige les rythmes naturels des élèves et leurs capacités de travail. Les recommandations unanimes des spécialistes de ces questions sont ignorées pour des raisons difficiles à comprendre (voir P. Magnin, H. Montagner, G. Vermeil et d'autres).

Octobre 1986 : "Présentation par René Monory du rapport de Pierre Magnin sur l'organisation des rythmes scolaires et du projet de calendrier scolaire 1987-1988"... En réalité les modifications essentielles du rapport P. Magnin n'ont jamais été adoptées.

Le syndrome d'insuffisance chronique de sommeil des élèves et des étudiants est devenu une pathologie fréquente. L'organisation de notre système scolaire épuise inutilement un grand nombre d'enfants :

  • Un enfant sur deux manque de sommeil dès la classe de sixième, et récupère très mal ce retard le dimanche matin,
  • Le besoin supplémentaire de sommeil des adolescents n'est pas reconnu, au contraire, leur charge de travail s'accroit,
  • Des journées de 8 à 13 heures sans une minute de repos : des enfants de 10 à 14 ans se levent à 6 h du matin pour prendre le bus de ramassage de 7 h. Après une journée complète dans une ambiance continue de bruit, d'agitation et d'insécurité, ils rentrent chez eux le soir à 18 ou 19 h, avec des devoirs pour le lendemain et du travail pour le week-end,
  • Un maximum de travail en hiver, à l'époque où les performances psychomotrices sont les plus faibles,
  • Le dimanche et en période de vacances, les adolescents retrouvent leurs rythmes spontanés et dorment de 1 à 5 heures de plus qu'en période scolaire.

Raccourcir le sommeil d'un enfant ou d'un adolescent :

  • Est un mauvais traitement qu'on lui inflige, au même titre que les coups, les privations et le travail,
  • Désorganise son développement somatique, psychique et intellectuel.
  • Lui inflige un préjudice définitif, contrairement aux châtiments corporels du début du siècle.
  • Augmente son instabilité, son anxiété, son agressivité, ses tendances suicidaires.
  • Prépare une nouvelle victime des psychotropes, du tabac, de l'alcool, des drogues et des somnifères.

Les rythmes de vie font partie de l'hygiène au même titre que le brossage des dents et les vaccinations. Les enfants qui manquent de sommeil sont très souvent malades. L'intérêt évident de la collectivité passe par l'adaptation du système scolaire aux aptitudes physiologiques des élèves.

 

La Convention des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant

Reconnait le rôle essentiel de la famille et s'engagent à en préserver les relations. Cette insertion dans la famille est le moyen d'assurer à l'enfant un climat affectif favorable à son développement, et aussi le moyen de lui conserver ses racines avec son pays, son ethnie, sa langue et sa culture.

Affirme le droit de l'enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel et social.

Veut protéger l'enfant contre toute forme de violence : la privation de sommeil est une violence très insidieuse. Les parents, les enseignants et les médecins n'en tiennent pas compte.

Affirme le droit de l'enfant au repos et aux loisirs, son droit de se livrer aux jeu et aux activités récréatives de son âge.

Cette convention précise les buts de l'éducation : (art 29)

  • Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons, de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de ses potentialités.
  • Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des principes consacrés dans la Charte des Nations-Unies.

Ces objectifs sont très éloignés du volume démesuré de connaissance exigé en France. La vie de nombreuses familles est pourrie par les horaires scolaires, les programmes surchargés, la violence à l'école, le travail à la maison et l'épuisement des élèves. Dès l'école primaire, certains élèves présentent un syndrome de fatigue chronique, n'ont plus aucun loisir en semaine, plus de vraie vie de famille ni d'épanouissement véritable de leurs aptitudes individuelles. Quel est l'avenir d'une société qui méprise la vie de famille et la santé de ses propres enfants ?

 

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